Conditions-cadres des mesures de maintien de la mobilité individuelle et d’amélioration de la sécurité routière

20 mai 2021 Facteur Humain
Comme cela a déjà été mentionné au début de ce chapitre, les changements dans la pyramide des âges ainsi qu’une part croissante de titulaires du permis de conduire dans la population encore jeune aujourd’hui devraient signifier qu’à long terme il y aura plus de seniors au volant sur les routes allemandes. La résolution du conflit entre le maintien de la mobilité autonome des seniors d’une part et la réduction au minimum du potentiel de risque émanant des automobilistes d’autre part est un véritable défi. Pour agir de manière préventive, les experts favorisent le regroupement de différentes approches. En plus de mesures de surveillance, de conseil et d’expertise (Enforcement/Education/Examination), des solutions de configuration (ingénierie, utilisation de systèmes d’aide à la conduite) ainsi que des concepts de mobilité intégrés sont envisagés. Avant d’évoquer ces amorces de solutions, il est utile de regarder « d’en haut » les facteurs et caractéristiques restrictifs concernant les automobilistes âgés.
Il faut d’abord faire la différence entre l’âge biologique et l’âge chronologique. Alors que l’âge biologique est un diagnostic de l’état physique, l’âge chronologique est basé sur la date de naissance d’une personne. Il n’y a aucun lien linéaire entre les deux. L’évolution de l’âge est en effet trop hétérogène et soumise à trop d’influences. À partir de 35 ans, le système vasculaire humain est touché par l’artériosclérose, ce qui peut altérer la capacité d’organes importants. Cette transformation naturelle de l’organisme détermine l’âge biologique, qui fait que l’on vieillit plus ou moins tôt indépendamment de l’âge chronologique.
Les divergences entre l’âge biologique et l’âge chronologique permettent de conclure que les différentes phases de l’âge ne sont pas fonction du calendrier, mais des compétences que la personne qui vieillit a encore dans les domaines de la fonctionnalité et de la vie. Depuis les années 1980, les gérontologues s’intéressent donc plus à l’âge fonctionnel, avec pour objectif de considérer le vieillissement plutôt comme un processus de développement incluant des composantes biologiques, sociales et psychiques. Le système de classification ICF (International Classificiation of Functioning, Disability and Health) publié par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) évalue des fonctions générales, des capacités et le potentiel de ressources, dont les facteurs que sont la personnalité, l’état d’esprit et les habitudes de comportement. Sous cet angle, on peut observer comment les personnes concernées gèrent leurs limites. Les restrictions dues à l’état de santé réduisent la fonctionnalité physique et mentale, en particulier en cas de démence. Chez les personnes malades, les pertes liées à la maladie dominent l’âge fonctionnel.
La dégradation graduelle des capacités sensorielles, cognitives et motrices ainsi que les restrictions de la mobilité qui peuvent y être liées font qu’il est souvent plus difficile pour les personnes âgées de prendre conscience de ces changements, de les admettre et d’essayer ensuite de les compenser. L’effet « Better than average » a déjà été évoqué. La honte, la grande importance subjective du permis de conduire et les obstacles à la mobilité dans les régions en raison du manque d’alternatives proposées peuvent également contribuer à fausser l’autoévaluation. Il est cependant indispensable de procéder à une évaluation réaliste pour se comporter de manière responsable sur la route. En principe, pour le succès d’approches basées sur des formations ou de programmes de conseil, mais également pour utiliser d’autres concepts de mobilité ou des auxiliaires techniques comme les systèmes d’aide à la conduite, il est décisif que les participants reconnaissent et acceptent l’utilité de telles offres et soient vraiment prêts à quitter les « sentiers battus ».

UNE OPTION : LE PARCOURS D’ÉVALUATION AVEC UN PROFESSIONNEL

Mais comment évaluer la situation des automobilistes âgés dans le cadre des perspectives de la politique et de la stratégie des transports pour améliorer la sécurité routière ? Il faut tout d’abord souligner que le groupe des conducteurs âgés ne constitue en soi pas un groupe de risque particulier par rapport aux automobilistes plus jeunes. La majorité des seniors réussissent à compenser les déficits sensoriels, cognitifs et moteurs dus à l’âge par l’expérience de conduite et un style de conduite défensif.
Il s’avère cependant que des solutions standardisées et équitables d’une part, adaptées et transparentes d’autre part, sont nécessaires pour mieux éclairer une zone d’ombre croissante d’automobilistes aux capacités potentiellement réduites ou n’ayant plus les capacités requises. Cela a également été la teneur du 55e congrès annuel du droit de la circulation routière (Deutscher Verkehrsgerichtstag) début 2017 à Goslar dans le cercle de travail III (« Les seniors sur la route »). Le cercle de travail s’est prononcé pour que les automobilistes âgés soient encouragés à prendre leurs responsabilités et à contrôler à temps si et dans quelle mesure ils doivent réagir à d’éventuelles limitations de leur capacité de conduire.
Pour améliorer une autoévaluation réaliste, le cercle de travail a proposé la mise en place d’un parcours d’évaluation avec un professionnel qualifié. Il ne s’agit pas en premier lieu de cesser éventuellement de conduire, mais de trouver des possibilités de préserver la mobilité en toute sécurité. Cela éviterait aux familles d’avoir à émettre des doutes concernant la capacité de conduire de la personne concernée, et une évaluation qualifiée permettrait aux seniors de prendre des mesures afin de conserver leurs compétences.

ACCEPTER D’ÊTRE ACCOMPAGNÉ AU VOLANT EST IMPORTANT POUR RÉUSSIR

Le parcours d’évaluation avec un professionnel comme instrument volontaire d’amélioration de l’autoévaluation de l’automobiliste consiste à collecter des données : pendant une observation du comportement au volant, les erreurs de conduite sont consignées dans des catégories uniformes puis analysées. Dans une deuxième étape, les résultats sont expliqués à l’automobiliste et accompagnés de propositions et de remarques qui servent à améliorer et à conserver les compétences nécessaires pour conduire. En tant que partenaires présents sur tout le territoire allemand, les points de contrôle technique et les organismes d’expertise de la capacité de conduire, qui se sont engagés à respecter les principes de neutralité, d’indépendance et d’impartialité et disposent d’un système de gestion de la qualité certifié, sont prédestinés à remplir cette mission. Un psychologue de la circulation ou bien un expert ou un examinateur officiel certifié pourraient accompagner le parcours.
Parallèlement, pour actualiser l’architecture de la réglementation actuellement en place, un moniteur de conduite pourrait se charger de tâches dans le domaine de la pédagogie de la circulation telles que, par exemple, la préparation à un parcours d’évaluation ou un complément de formation théorique et/ou pratique. L’accompagnateur expliquerait au conducteur âgé ses points forts et faibles et lui fournirait des indications pour améliorer son comportement de conduite. S’il y avait un potentiel de risque, par exemple une accumulation d’erreurs, un comportement de conduite caractérisé par des infractions grossières répétées au code de la route, des difficultés récurrentes lors de manœuvres de conduite critiques pour les personnes âgées – par exemple changer de direction, rouler en marche arrière, faire demi-tour, se garer ou sortir d’une place de stationnement, respecter la distance de sécurité ainsi qu’adopter un comportement adapté aux nœuds de circulation et en liaison avec le respect des règles de priorité – une clarification approfondie des causes de ces anomalies serait nécessaire. Cette tâche pourrait incomber à des experts de la psychologie des transports et/ou de la médecine des transports.

VÉRIFICATION OBLIGATOIRE EN FONCTION DE L’ÂGE

Mais que faire lorsque les chiffres des accidents impliquant des conducteurs âgés ne cessent d’augmenter et qu’il se dessine que des examens en fonction des circonstances et des parcours d’évaluation volontaires ne suffisent pas à stopper cette tendance ? Lorsque les personnes concernées refusent en fait de prendre leurs responsabilités ? Dans ce cas, il faudra repenser l’équilibre entre la prise de responsabilité individuelle et la régulation par l’état. Il semble techniquement indiqué, mais également approprié, de prévoir une vérification obligatoire en fonction de l’âge. L’âge minimal de 75 ans est proposé. Si des parcours d’évaluation ont préalablement été effectués, le délai de « vérification obligatoire » pourrait être graduellement reporté de cinq ans maximum. L’âge de la première vérification obligatoire serait alors de 80 ans.
Le fait d’associer des mesures volontaires à un âge de début d’examen obligatoire inciterait les automobilistes à recourir aux mesures volontaires. Il serait ici également possible de tenir compte de programmes de formation destinés à améliorer les compétences de conduite des personnes âgées, notamment des stages de sécurité routière pour mieux maîtriser les situations dangereuses, ou bien de sessions d’information et de conseil. Ainsi, en Allemagne, le programme « Mobil 65+ » développé à l’université de Leipzig transmet par exemple des connaissances sur les changements des fonctions sensorielles dus à l’âge ainsi que sur l’influence et les effets secondaires de médicaments. Grâce à des exercices, la mobilité de la musculature des épaules/de la nuque est également améliorée et la résistance aux sollicitations est renforcée à l’aide d’exercices de relaxation. L’initiative « Mensch & Auto – Sicherheit ist Einstellungssache » (Individu et voiture – la sécurité est une question d’état d’esprit) de la Deutsche Seniorenliga (Ligue allemande des seniors) est un autre exemple. Elle transmet des connaissances sur la limitation de la capacité de conduire due à des médicaments, le réglage individuel correct du siège, de la ceinture de sécurité et des rétroviseurs ainsi que l’utilisation de systèmes d’aide à la conduite.

IL FAUT TOUJOURS CLARIFIER LES ANOMALIES

La « vérification obligatoire » pourrait associer une observation du comportement au volant et la présentation d’un certificat médical avant le début du parcours d’évaluation. Ce « bilan de santé » d’orientation devrait contenir des indications relatives aux fonctions cognitives (« pas de signes de démence »), à la multimorbidité ainsi qu’aux facteurs de risque liés à la santé, et un examen de la vue. En cas d’anomalies, une vérification par un expert serait nécessaire. En effet, l’étendue de la restriction des performances ainsi que le type, la gravité et l’évolution des altérations de la santé ou des maladies doivent toujours être étudiés au cas par cas dans le cadre d’une expertise, en tenant compte des possibilités et limites de compensation individuelle envisageables ainsi que d’autres facteurs de risque éventuellement associés. Il faut ici tirer parti de la grande expérience des spécialistes des organismes d’expertise de la capacité de conduire.

ÉTUDE « ON-ROAD » À BIELEFELD

Dans le cadre de l’étude « On-Road » à Bielefeld, menée entre 2017 et 2019 par le centre hospitalier « Evangelisches Klinikum Bethel », un échantillon d’automobilistes âgés obtenu par le biais d’une annonce dans le journal a été examiné d’un point de vue de la neurologie et de la psychologie de la circulation. Des informations concernant la santé, par exemple des antécédents médicaux ou la prise de médicaments, mais également la biographie et les expériences de conduite préalables (kilométrage annuel, accident) ont également été demandées.
En tout, 89 sujets (33 femmes et 56 hommes) âgés de 63 à 94 ans (77 ans en moyenne) ont pu être examinés. Après une observation psychologique du comportement au volant de 85 participants à l’étude, les participants ont été répartis en quatre catégories à l’aide de protocoles standardisés en saisissant leur participation active à la circulation. Ces catégories ont à leur tour pu être affectées à deux domaines principaux (apte ou inapte ; entre parenthèse le nombre de sujets affectés):
ApteInapte
Capacité de conduire sans limites sans leçons de conduite (41)N’a pas actuellement la capacité de conduire sans limites ; leçons de conduite proposées (24)
Capacité de conduire sans limites
avec des leçons de conduite (16)
N’a pas la capacité de conduire (4)
Pour presque la moitié des participants (41), l’observation du comportement au volant n’a révélé ni doutes ni anomalies et ils ont été informés de ce résultat positif. 16 personnes ont commis des erreurs répétées qui n’ont cependant pas été classées dans la plage critique (par exemple changement de voie sans mise en danger de tiers). Il leur a été recommandé de prendre des leçons de conduite pour s’entraîner et conduire de manière plus sûre. Un groupe de 24 personnes a commis des erreurs dont certaines étaient graves, tant dans le domaine de l’utilisation du véhicule que concernant l’adaptation à la circulation. Ces comportements n’étaient pas dus uniquement à des restrictions cognitives, comme par exemple une réaction lente, mais également à un état d’esprit lié à la personnalité. Par exemple, certains participants s’accordaient une « tolérance de temps » à des feux rouges ou ne se sentaient pas obligés de respecter les règles aux passages piétons.

LE RETRAIT DU PERMIS DE CONDUIRE DEVRAIT TOUJOURS ÊTRE LA DERNIÈRE OPTION

Alors qu’environ la moitié des participants avaient certes fait des erreurs de conduite, le psychologue de la circulation et le moniteur de conduite étaient d’avis qu’elles pouvaient être corrigées grâce à des leçons de conduite pour s’entraîner à des manœuvres spécifiques (par exemple les changements de direction et de voie). Seuls 4 participants ont commis des erreurs telles qu’il leur a été vivement recommandé de ne plus participer activement à la circulation. Cette classification était généralement le résultat d’interventions répétées du moniteur pendant le trajet (freinage, correction au niveau du volant), car sinon le trajet n’aurait pas pu être effectué sans accident.
Le résultat de l’analyse statistique est qu’il y a de grandes différences en matière de qualité de la participation à la circulation entre les classes d’âge : ainsi, 78,6 % des participants estimés comme « inaptes » avaient plus de 75 ans, et seulement 21,4 % des participants estimés comme n’étant actuellement pas aptes à conduire avaient moins de 75 ans. Les résultats des tests sur ordinateur ont également été observés lors de l’analyse du comportement dans des conditions de circulation réelles : le groupe des plus de 75 ans était très représenté dans les erreurs du domaine de l’« autocontrôle en fonction du risque » (par exemple, une vitesse adaptée), alors que ce n’était pas le cas des participants plus jeunes, dont la capacité à se comporter en toute sécurité au volant n’était majoritairement pas affectée. Cependant, les domaines des carrefours (changement de direction, identification de risques) connus dans les statistiques des accidents sont souvent des points particulièrement critiques pour les deux groupes pendant leur participation à la circulation.
Conclusion : il est aujourd’hui possible d’identifier les points forts et faibles individuels des conducteurs âgés. Outre les vastes connaissances des facteurs de risque et de protection, il existe des concepts valables permettant un diagnostic fondé qui peuvent être complétés par des méthodes d’observation du comportement au volant et du parcours d’évaluation. Avant de prendre des mesures radicales comme le retrait du permis ou la vérification de la capacité de conduire, il faudrait mettre en place des offres volontaires qui, après des conseils individuels, aboutiraient à un entraînement axé sur les performances cognitives ou à une clarification médicale plus approfondie. Il existe déjà de nombreuses mesures qui ont fait leurs preuves et dont on sait qu’elles ont des effets positifs. Il faudrait multiplier les incitations pour qu’elles soient plus largement utilisées – sur une base volontaire ou en fonction des circonstances. Préserver la mobilité doit être la priorité absolue. De toute évidence, des mesures obligatoires devraient être mises en place à partir de 75 ans et se concentrer sur la définition de normes minimales pour la conduite de véhicules motorisés en toute sécurité.