Stress / Pression / Distraction

07 juin 2018 Facteur Humain
Selon le modèle de Matthews, la conduite est stressante quand des facteurs de stress environnementaux tels qu’une mauvaise visibilité, de mauvaises conditions routières ou des encombrements routiers ainsi que des facteurs personnels interagissent. D’un point de vue subjectif, le stress est ressenti par exemple comme de la peur, de la colère ou de la fatigue. L’infiuence du stress et de la pression sur le comportement dans la circulation a été étudiée dans le cadre d’une étude d’investigation (Evers, 2010) réalisée avec 555 conducteurs de camion. L’enquête auprès des conducteurs a révélé qu’ils travaillent en moyenne 63,2 heures par semaine, dont 46,6 heures représentent leur temps de conduite pur. Dans 80,1 % des cas, les conducteurs travaillent dans le transport longue distance. Environ un tiers des conducteurs ne rentrent pas chez eux pendant plus ou moins d’une semaine. Les conducteurs ont particulièrement souvent cité les conditions de circulation comme oppressantes, surtout l’insufisance des possibilités de repos, le comportement gênant, risqué ou agressif d’autres usagers de la route, les mauvaises routes, une forte densité de circulation et les embouteillages. Mais les problèmes de temps sont également ressentis comme une pression, et ce autant dans le domaine privé (loisirs, famille) que dans le domaine logistique (retards dans le chargement, mauvaise planification des tournées).
Certes, le fait que la pression subjectivement ressentie est également liée à un certain risque d’accident semble être intuitivement compréhensible. Toutefois, il est dificile de le prouver sur la base des statistiques d’accidents car, ici, la cause de l’accident consignée est généralement ce que la police constate quand elle est appelée sur les lieux d’un accident. D’une part, on peut donc supposer que certaines causes d’accidents ne peuvent pas être répertoriées du point de vue statistique car les accidents ne sont pas signalés, par exemple en cas de dommage mineur résultant d’un accident individuel. De l’autre, après un accident, la police a du mal à constater des causes résultant de stress comme la distraction, les perturbations ou la fatigue. Contrairement à l’alcool ou aux drogues qui peuvent être détectés dans le sang, il n’existe pas d’instrument de mesure pour cela.
Dès 1995, une enquête auprès de conducteurs de camion impliqués dans un accident a révélé des éléments permettant d’évaluer dans quelle mesure la distraction, le stress ou la fatigue jouent un rôle dans le cadre d’un accident. Sur les 55 conducteurs impliqués dans un accident, 15 en tout ont indiqué la « fatigue excessive » comme cause de l’accident, suivis de dix autres qui ont indiqué que la cause de l’accident était la hâte ou l’urgence. La distraction par des stimulus extérieurs a également été citée comme cause de l’accident par huit conducteurs. Interrogées sur leur propre état psychophysique immédiatement avant l’accident, 21 des personnes ont répondu par « en colère », 17 par « préoccupé », 12 par « fatigué et 10 par « agressif ». Il apparaît ici clairement que le comportement des conducteurs impliqués dans un accident est aussi important que leur humeur, même s’il n’est pas possible de refiéter ces paramètres dans les statistiques d’accident elles-mêmes. En 2013, le ministère britannique des Transports a signalé que la distraction dans le véhicule a joué un rôle dans le cadre de 2 995 accidents (3 % de tous les accidents). Dans 84 cas, ils ont eu une issue fatale (6 % de tous les accidents mortels). À l’échelle européenne, les chifres d’accidents dus à la distraction varient considérablement. Entre autres, ceci est dû au fait qu’il n’existe pas de définition uniforme de la notion de « distraction » ou d’« inattention ». Selon Kinnear et Stevens, on peut distinguer quatre types de distractions :
  • 1. La distraction cognitive ou mentale survient quand un conducteur se livre mentalement à d’autres activités qui ne sont pas nécessaires à une conduite sûre. Cela occupe des ressources mentales qui, en fait, seraient nécessaires à l’accomplissement sans faille de la tâche de conduite.
  • 2. La distraction visuelle survient quand le conducteur ne regarde pas la route, par exemple parce qu’il en détourne son regard pour le porter sur la radio, son téléphone portable, de la publicité extérieure, etc.
  • 3. On parle de distraction auditive quand le conducteur porte son attention sur un bruit. Cette forme de distraction est souvent conjuguée à d’autres, par exemple, quand on essaie de suivre une conversation qui mobilise des ressource cognitives. Mais des avertissements acoustiques du véhicule peuvent aussi attirer l’attention du conducteur sur l’état du véhicule.
  • 4. La distraction manuelle décrit le détachement d’une main ou des deux mains du volant afin d’exécuter d’autres activités telles que manger, boire ou faire fonctionner des appareils.
Bien sûr, les différentes distractions ne surviennent pas forcément isolément. La mesure dans laquelle la distraction a un efiet sur une conduite sécuritaire ou à risques dépend aussi de leur intensité, de la situation de conduite (l’arrêt à un feu rouge par opposition à la densité de la circulation urbaine) et du moment (par exemple un événement imprévu qui se produit simultanément).

Le mythe de l’être multitâche

La raison du danger particulier représenté par la distraction au volant réside dans le fait que l’être humain n’est pas en mesure d’accomplir plusieurs choses en même temps. S’il essaie tout de même de le faire, les tâches se contrecarrent mutuellement. Cela tient au fait que, lors de l’accomplissement d’une tâche double, le cerveau ne se concentre pas sur les deux tâches en même temps, mais qu’il passe toujours de l’une à l’autre. La performance dans les deux tâches en pâtit parce qu’on essaie de répartir son attention sur les deux tâches. Étant donné que la conduite est une tâche complexe qui, à elle seule, mobilise déjà différents processus cognitifs, le fait d’entreprendre une autre activité pendant la conduite implique que le conducteur ne dispose plus de ressources d’attention sufisantes pour s’acquitter de sa tâche de conduite proprement dite. Cela conduit à des erreurs de traitement et à la perte connexe du contrôle de la tâche de conduite proprement dite, ce qui met le conducteur lui-même et tous les autres usagers de la route en grand danger.
Les conducteurs routiers professionnels, en particulier, doivent souvent se pencher sur la technologie embarquée du véhicule. Ils passent beaucoup de temps dans leurs véhicules et travaillent souvent dans l’urgence. Selon une étude de 2009 (Olson et al.), les conducteurs s’adonnaient à une activité secondaire pendant qu’ils conduisaient dans 56,5 % des événements liés à la sécurité. En outre, la probabilité de survenance d’un tel événement critique était multipliée par 23 si les conducteurs rédigeaient un message SMS pendant qu’ils conduisaient.

Possibilités de promotion de la santé chez les conducteurs routiers professionnels

Une multitude de facteurs de stress psychique et physique particulier lié au travail et, par conséquent, un risque accru de problèmes de santé et de maladies résultent des modifications décrites apportées au profil professionnel des conducteurs routiers professionnels. Le profil d’exigences et les conditions de travail en découlant sont très variés et dépendent particulièrement des marchandises transportées, de l’itinéraire de transport et de l’organisation du travail. Rappelons ici les principaux facteurs de pression qui pèsent sur une multitude d’emplois de conducteurs routiers professionnels : des horaires de travail défavorables/ le travail en équipe, les longs temps de conduite, l’urgence, le stress environnemental physique tel que le bruit, les gaz d’échappement et les conditions de luminosité, la monotonie et l’isolation sociale au travail, des absences fréquentes de plusieurs jours du domicile, de hautes exigences en raison des systèmes d’aide à la conduite assistés par ordinateur, de longues périodes en position assise et le manque de mouvement, les vibrations imposées à tout le corps, la manutention des charges ainsi que le travail avec des produits dangereux. Des troubles du sommeil, de la fatigue aiguë et chronique et, par conséquent, un risque d’accident accru peuvent faire partie des conséquences de ces conditions de travail particulières.
Le style de vie des conducteurs routiers professionnels est bien souvent risqué en termes d’habitudes alimentaires et de consommation de tabac. Une conséquence de la position de travail statique au volant et de la forte charge physique sont des problèmes concernant tout le système musculo-squelettique, notamment du dos. Les conducteurs routiers professionnels présentent un risque extrêmement élevé de discopathie lombaire, de maladies cardiovasculaires, de surcharge pondérale, d’ulcères à l’estomac et de carcinomes bronchiques.
Cette énumération montre clairement que l’introduction d’une gestion de la santé au sein de l’entreprise est très importante pour les conducteurs routiers professionnels afin de maintenir leurs capacités de performance, leur bien-être et, pour finir, pour éviter les risques d’accidents. Toutefois, la mobilité inhérente à ce métier et le fait que les conducteurs séjournent principalement hors du site de l’entreprise représentent un défi d’envergure pour la mise en oeuvre de mesures classiques de promotion de la santé au travail en entreprise.
Le secteur de l’expédition et des transports, en particulier, présente en outre un haut pourcentage de petites entreprises et de microentreprises qu’il est jusqu’ici d’une manière générale dificile de persuader de pratiquer la promotion de la santé en entreprise. Dans ces entreprises, la promotion de la santé ne joue souvent qu’un rôle secondaire par rapport à la sécurité au travail et à la protection de la santé. Mais un travail d’information intensif et la mise en réseau des institutions qui ont un mandat de prévention peuvent soutenir les employeurs et les motiver à devenir actifs dans le domaine de la promotion de la santé. Une autre possibilité réside dans l’initiation de réseaux de qualité et de santé interentreprises et propres à chaque secteur d’activité.
Les concepts qui existent pour les travailleurs mobiles peuvent aussi être appliqués aux conducteurs routiers professionnels. Par exemple, il peut s’agir du concept de guide de santé dans l’entreprise que les conducteurs peuvent aussi contacter à distance, de l’utilisation ciblée d’applications mobiles de santé, de contrats indépendants du lieu avec des salles de sport, de la « salle de sport dans le camion » ou d’un soutien pour adopter une alimentation saine sur la route (« panier-repas »).
Des mesures de promotion de la santé doivent toujours être prises sur la base des charges identi fiées. Par exemple, dans le cadre d’une enquête menée par Michaelis, la proposition de stratégies générales de prévention de la fatigue au volant et d’informations sur l’alimentation saine et la lutte contre le tabagisme ont fait partie des demandes.
En raison des charges physiques et psychiques particulières des conducteurs routiers professionnels, il est clair qu’une action en faveur de ce groupe professionnel est indispensable dans le domaine de la promotion de la santé en entreprise. L’accès aux conducteurs routiers professionnels doit être plus créatif en comparaison avec les employés présents dans l’entreprise. D’une manière générale, le temps consacré à ces mesures devrait être au moins crédité proportionnellement sur le temps de travail. Les ofires à bas seuil nécessitant peu de formalités, de conditions d’entrées et de connaissances préalables, par exemple sur les aires de repos et les parkings, sont éventuellement les plus prometteuses.